Traduction par Richard Gliech Translator, LLC et l'Alliance Française of the Lake Champlain Region.
Tous les mercredis à midi, Dr Jules Wetchi est sur les ondes de la radio Big Heavy World, où il endosse deux rôles étonnamment différents : DJ et spécialiste en santé publique.
M. Wetchi débute son programme d’une heure par de la musique africaine entraînante, pour mettre son public en train. Puis il prend le micro, en français :
« Bienvenue dans le cadre de notre émission African Varieties Shows. Là, nous sommes en direct de notre station radio communautaire de Burlington Big Heavy World, 105.9 FM. »
Les sujets abordés sont très variés, depuis des nouvelles sur l’épidémie de norovirus à la dernière conférence de presse du gouverneur Phil Scott, en passant par des informations et des conseils de sécurité concernant une tempête de neige à venir. Au bout de quelques minutes de discussion, il repasse de la musique, marquant le rythme de la tête et saluant des amis du monde entier qui suivent son émission en direct sur Facebook.
Jules Wetchi est originaire de la République démocratique du Congo où il était médecin, spécialisé dans la chirurgie de la cataracte. À son arrivée dans le Vermont en 2013, face aux difficultés de faire reconnaître son diplôme de médecine aux États-Unis, il a trouvé un emploi de technicien en médicaments dans une résidence pour personnes âgées et a repris ses études. Il a obtenu un master en santé publique à l’Université du Vermont en 2019.
Bien qu’il ne puisse plus soigner de malades ni opérer de cataractes, M. Wetchi a trouvé un moyen de valoriser son expertise dans le domaine de la santé publique et de satisfaire son besoin inné de servir sa communauté par le biais de ses émissions de radio et de télévision. Son objectif est de partager avec les Vermontois d’origine africaine des actualités et des informations importantes concernant la santé, tout en célébrant la culture africaine et en lui offrant un espace à Burlington. Selon lui, l’African Varieties Show témoigne de l’importance d’une bonne connaissance et sensibilité culturelles dans le domaine de la santé publique.
L’African Varieties Show
M. Wetchi a démarré son émission de radio sur Big Heavy World en septembre 2020.
Jim Lockridge, directeur exécutif de Big Heavy World, souhaitait une émission au service des nouveaux Américains de Burlington et a contacté l’ancien curé de la paroisse Saint-Joseph, Lance Harlow, qui célébrait régulièrement une messe en français dans son église. M. Harlow a alors fait appel à Jules Wetchi, qui avait déjà exprimé le souhait d’animer un jour une émission sur une chaîne de télévision d’accès public à l’intention de la communauté africaine catholique francophone.
Étant à la fois d’origine congolaise et un professionnel de la santé publique, il était particulièrement bien placé pour informer sa communauté durant la pandémie.
« Je m’occupais d’eux au pays, a-t-il déclaré. Donc quand je partage des informations avec eux, ils me font confiance. »
Non seulement avait-il leur confiance, mais il était également familier avec les formes d’apprentissage et de partage de l’information au sein de la culture. Il a filmé l’une de ses émissions à l’occasion d’une célébration congolaise de la Journée internationale de la femme car il savait que les gens, à la perspective de danser et manger ensuite, seraient prêts à assister à une présentation d’information sur la santé des femmes.
« Vous créez un événement sous forme de fête pour qu’ils viennent vous écouter, avant de boire et manger, explique-t-il. C’est dans la culture africaine ; c’est quelque chose que les Américains ne comprennent pas. »
Avant d'être chirurgien ophtalmologiste au Congo, Jules Wetchi était médecin généraliste et a traité des patients atteints d’Ebola durant les épidémies. Il explique que la propagation d’Ebola était fortement liée aux pratiques culturelles de préparation du corps après le décès. Une fois les populations informées sur les dangers qu’il y avait à toucher et à laver le corps d’une victime d’Ebola, les taux de transmission ont diminué.
Il a constaté, initialement, un manque semblable de communication efficace au sein de la communauté congolaise lors de l’apparition de la COVID-19, ce qui l’a poussé à agir. Au lieu de partager l’information à la mode américaine, il allait le faire à la mode africaine.
Entre des morceaux de musique rappelant pour lui, ses amis et sa famille leur pays natal, il parlait dans les langues du Congo des vaccins, de l’importance du port du masque et de la façon dont le Vermont gérait la pandémie, glissant ainsi de petites doses d’information dans le solide régime musical de ses auditeurs.
L’African Varieties Show a pris de l’ampleur l’automne dernier, lorsque M. Wetchi a lancé une version télévisée de son émission sur Town Meeting TV, intitulée l’African Variety Show. Dans la version télévisée, accessible sur YouTube, il réalise des entretiens approfondis avec des membres de la collectivité, où il traduit tout dans les langues parlées par les Congolais. Les sujets traités vont du fonctionnement de la municipalité de Burlington à l’histoire d’un musicien originaire de la République du Congo.
Les Congolais de Burlington parlent une ou plusieurs de trois langues principales : le français, le swahili et le lingala (également appelée ngala). Selon M. Wetchi, l’anglais peut être leur quatrième ou cinquième langue. Bien que plusieurs organismes d’accueil des réfugiés à Burlington diffusent des informations dans les langues appropriées, il constate la persistance de lacunes de communication en raison de préférences culturelles.
« Les Africains aiment écouter et regarder, ils n’ont pas le temps de lire, ils préfèrent écouter. »
L’African Varieties Show n’est pas uniquement destiné aux natifs de la République démocratique du Congo. Les langues parlées par Jules Wetchi sont également comprises par d’autres populations africaines dans la région de Burlington, notamment originaires de la République du Congo, du Togo et de la Côte d’Ivoire et qui parlent français, ainsi que par des Kenyans et des Ougandais parlant swahili.
Rapprocher les communautés
M. Wetchi estime que la santé publique ne se limite pas seulement à l’éducation sur les maladies.
Par ses émissions, il souhaite aider les gens à s’intégrer dans la vie aux États-Unis et à s’impliquer dans leurs collectivités.
Son épouse, Rachel Wetchi, estime que son mari a un don naturel pour la communication.
Il adresse la parole à des inconnus dans la rue sans aucun effort.
« Pour lui, entrer en contact et partager est une chose naturelle, a-t-elle déclaré. Et c’est un bon leader parce qu’il sait comment responsabiliser les gens et les aider à faire ce qu’ils font de mieux. »
S’installer dans un nouveau pays avec de nouveaux systèmes peut sembler insurmontable, estime Rachel, mais les émissions de Jules aident les gens à mieux comprendre leur nouvelle patrie tout en les divertissant avec une musique et dans une langue qui leur sont familières.
Non content d’avoir créé l’African Varieties Show, M. Wetchi anime également une émission sur Big Heavy World consacrée aux Africains catholiques francophones.
Samedi Matin est diffusée de 8h30 à 10h et présente en avant-première et en français la messe du lendemain matin à Saint-Joseph. On y entend une traduction du sermon et des lectures du jour, ainsi que de la musique religieuse de style congolais et africain. Parfois, des musiciens de son église viennent se produire en direct durant l’émission.
Mireille Dasilva, une membre de la communauté congolaise, estime que Jules est un rassembleur parmi la population africaine de Burlington. Même au sein de la communauté congolaise, il y a une diversité de personnes et de cultures, explique Mme Dasilva, mais il sait comment gérer ces différences.
« Il est patient, dit-elle. Nous sommes tellement différents, et traiter avec chacun de nous, c’est très, très difficile. »
M. Wetchi a également des relations avec les dirigeants de la ville et de l’État. La ville de Burlington a pris note de l’African Varieties Show et de son impact et elle a engagé M. Wetchi en tant qu’agent de liaison dans son programme Trusted Community Voices en 2021. Ce programme a été créé pour établir de meilleures voies de communication entre la municipalité et les communautés immigrées et minoritaires de Burlington. Jules Wetchi aime ce modèle.
« Personne ne peut parler en notre nom. Nous devons donc, nous-mêmes, prendre la parole et aider notre communauté car nous connaissons leur psychologie, nous savons ce qu’ils veulent. »
Molly Gray a rencontré M. Wetchi peu après avoir été élue lieutenant-gouverneur et elle l’a invité à parler de l’équité en matière de santé lors d’une de ses tables rondes régulières.
« J’estime que le leadership de Jules est un modèle pour le Vermont, car il est capable de rassembler la communauté d’une manière culturellement appropriée pour partager des informations extrêmement importantes sur la santé, a déclaré Mme Gray. Notre État devrait s’appuyer sur l’expertise de Jules et sur celle des différents leaders culturels pour faire un meilleur travail. »
Défis et espoir
S’il anime actuellement ses trois émissions en tant que service envers sa communauté, leur préparation demande du temps et de l’énergie, nous a déclaré M. Wetchi. Avec trois enfants en bas âge et un emploi à temps plein et à temps partiel, certains soirs il travaille jusque tard dans la nuit à préparer une émission.
Le rêve de Jules Wetchi est de créer une association à but non lucratif qui offrirait à tous les nouveaux Américains de la région de Burlington la possibilité d’avoir des émissions telles que les siennes. Il espère voir un jour une chaîne entière permettant aux nouveaux Américains de partager information et culture dans leur propre langue, ainsi qu’un espace physique pour produire ces émissions. Mais cela nécessiterait des fonds dont il ne dispose pas encore.
Pour Mireille Dasilva, le fait de voir et d’entendre Jules Wetchi lui donne de l’espoir quant à l’avenir des Africains dans le Vermont.
« Surtout dans le Vermont, je me souviens que lorsque nous sommes arrivés ici il y a 20 ans, nous n’étions pas nombreux. Il y a des gens qui ont peur et ne savent pas toujours à quelle porte frapper, a-t-elle déclaré. Mais lui, dans tout ce qu’il fait, il donne espoir aux autres. C'est un État blanc, vous savez... mais il a donné aux autres, vous savez, l’espoir qu’ils peuvent y arriver. »
Contactez Lilly St. Angelo, Urban Change Reporter, à lstangelo@gannett.com. Suivez-la sur Twitter : @lilly_st_ang